
SoCulte Média vous propose un carnet d'adresses culturelles accessibles et en lien avec des sujets de société. À travers des spectacles, des expositions, des films, des documentaires ou encore des livres ; on choisit des sujets pleinement en lien avec l’actualité qui interrogent les réalités sociales de notre génération.
Ici, on publie des articles pour approfondir les sujets vidéos. On y ajoute des critiques
et des ITV en format long.

NOTRE ACTU
Le sujet de la semaine :
T’embrasser sur le miel : Réinventer le lien à l’autre, par delà la guerre
T’embrasser sur le miel, pièce mise en scène par Khalil Cherti sur les planches du théâtre de la Colline, est une oeuvre épistolaire profondément ancrée dans la réalité : au coeur d’une Syrie en guerre, Siwam et Emad, amoureux depuis l’enfance, échangent par vidéos interposées. Les lettres, plutôt que de papier, sont de courts films envoyés l’un à l’autre. Par des mises en scène loufoques, les deux s’embrassent à distance. Ils imaginent leur intimité comme des commentateurs sur un ring de boxe, manière pour eux de faire l’amour. Enfermés dans leurs appartements, ils réinventent le voyage : c’est avec deux chaises mises à côté qu'ils s’évadent en mobylette, adaptant l’angle de vue pour donner une illusion quasi parfaite. Plus qu’une illusion, c’est avec humour mais sérieux que les deux personnages incarnent le maintien de leur lien au paroxysme de l’éloignement. Aucun moyen de se voir mais l’inconditionnel amour résiste. La première partie du spectacle est une ode à l’amour et à la vie. Les deux célèbrent ce qui les unit.
Interview de Khalil Cherti, metteur en scène de T'embrasser sur le miel
Je m’appelle Khalil Cherti, je suis autodidacte. J’ai d’abord commencé en faisant des films institutionnels, parce que je viens de l’audiovisuel et du cinéma. Ensuite j’ai fait beaucoup de pub et de bandes annonces pour des grands événements : les César, la coupe du monde de football, la fête du cinéma, etc. Je suis aussi auteur et réalisateur de courts-métrages et de moyens-métrages. Je vais bientôt réaliser un long métrage. Par ailleurs, j’ai écrit un petit court-métrage qui s’appelle T’embrasser sur le miel. Je l’ai adapté au théâtre : c’est l’histoire de Siwam et Emad qui vivent dans deux villes éloignées en temps de guerre et qui ne peuvent plus communiquer que par vidéos interposées. Ils s’envoient des vidéos comme des petits spectacles qu’ils ont envie de s’offrir pour se tenir compagnie et résister au chaos qui les entoure. 2. T’embrasser sur le miel a d’abord vu le jour en tant que court-métrage. Qu’est-ce qui vous a donné l’envie de l’adapter au format de la scène, à cet art vivant qu’est le théâtre ? J’ai écrit un court-métrage que Wajdi Mouawad a pu voir et qui l’a touché. On s’est rencontrés et il m’a dit « Qu’est-ce que je peux faire pour toi ? ». Moi j’avais deux rêves en faisant ce court-métrage, c’était qu’il puisse me permettre de passer au théâtre car je n’avais aucun réseau dans ce monde-là, et mon deuxième rêve c’était de rencontrer Wajdi. Ce court-métrage m’a permis de réaliser ces deux rêves, d’adapter T’embrasser sur le miel au théâtre et de finir programmé à la Colline. 3. Vous avez écrit ce texte bien avant la chute du régime syrien. Toutefois, en quoi selon vous la pièce résonne-t-elle encore pleinement avec l’actualité ? Effectivement, j’ai écrit cette pièce avant la chute du régime. J’ai beaucoup d’amis syriens, je navigue dans la diaspora syrienne. Quand il y a eu les manifestations puis le début de la guerre, je voyais énormément de documentaires et de films qui relataient la tragédie que vivait ce pays. En revanche, il y avait quelque chose qui me semblait oublié, c’était la vie artistique culturelle et la place de l’imaginaire et de la créativité dans la culture syrienne depuis toujours. J’avais donc envie que l’imaginaire et la créativité soient le centre du projet. J’ai alors décidé de raconter l’aventure de deux personnes qui communiquent par vidéo interposées et qui, finalement, partagent leur imaginaire en créant des spectacles l’un pour l’autre. Ensuite effectivement il y a eu la chute du régime. Il me semble que ce spectacle reste très d’actualité puisque pour la société syrienne et pour chaque syrien il s’agit aujourd’hui de réinventer le pays, d’imaginer la suite. Comment après cette tragédie, on peut non seulement y survivre, mais faire un avenir nouveau et un avenir ensemble. L’imaginaire et la créativité vont de nouveau être au centre des enjeux de la Syrie d’aujourd’hui et de demain. J’ai l’impression qu’il y a les mêmes enjeux pour les personnages dans ce spectacle, que pour la Syrie. 4. Vos deux personnages créent des saynètes improvisées pour transformer leur quotidien en un espace d’invention et de liberté. Ainsi, l’imagination, l’art et la création sont- ils selon vous un refuge et/ou une résistance face à la violence ? L’imagination et la créativité sont à la fois un refuge et une possibilité de résistance mais pour moi ça va plus loin que ça. Et c’est pour ça que j’avais envie et besoin de faire ce spectacle. L’imagination, en général et en particulier dans cette situation, selon moi c’est tout simplement vital. C’est ce qui permet d’aller au-delà de soi, d’imaginer une relation avec l’autre, de se réinventer soi-même, d’accueillir ce qu’on ne connait pas. L’imaginaire pour moi est un rapport au monde et à la vie qui est vital. Dans notre corps, il court du sang, mais dans notre vie, si l’imaginaire ne coule plus alors la vie s’arrête. Lorsque je parle d’imaginaire ou de créativité je ne parle pas spécifiquement au domaine artistique. Selon moi, un boulanger qui crée un nouveau gâteau le matin ou refait une énième baguette, utilise sa créativité pour faire cette action à sa façon. Chacun dans sa vie avance et évolue grâce à son imaginaire. Selon moi, c’est quelque chose de vital et je pense que, surtout en ce moment, on devrait faire de l’imaginaire une cause nationale. À l’école, l’imaginaire et la créativité sont les matières premières. 6. Toutes vos œuvres touchent à des sujets de société et des problématiques sociales : la guerre, l’immigration, la mémoire collective, les liens transgénérationnels, les relations humaines. Selon vous, quel pouvoir détient l’art, cinématographique ou théâtral, dans les discours politiques ou d’actualité ? Je n’aborde jamais les histoires en me disant, « tiens je vais créer une œuvre autour d’une problématique sociale, politique ou historique ». Dans ma démarche, l’art n’a jamais vocation à être militant. En revanche l’art a un pouvoir à nul autre pareil, il permet de rencontrer l’intime, de rencontrer des personnages, une histoire ou une situation sociale et sociétale à travers la singularité des personnages, leur intimité et leurs émotions. L’art sort des combats d’idées, qui sont très important, mais l’art ne combat pas. Il permet de faire rencontrer des personnes ou des univers à travers d’autres dimensions. L’art permet d’entendre des cœurs qui battent sous les idées et les situations politiques. C’est en cela qu’il est indispensable. Il ne va pas mieux dire les discours, il n’appartient pas au combat des idées et des opinions mais il permet des rencontres qu’aucun autre moyen ne permet de faire. 7. La scénographie est portée par une esthétique qui mêle jeu théâtral et vidéos d’archives. Était-il important pour vous que ces deux arts, le théâtre et le documentaire, se répondent et se complètent ? Pourquoi ? Le rencontre du théâtre et de la vidéo permet à la fois de laisser la place à l’imaginaire, puisque la convention du théâtre est de dialoguer avec l’imaginaire du spectateur pour qu’il puisse imaginer, et la vidéo incarne la nécessité de la communication. Mes personnages n’ont qu’u seul moyen de communiquer l’un avec l’autre, c’est la vidéo. D’ailleurs, dans cet entretien je m’adresse à un public jeune et baigné dans l’actualité et ça m’intéresse alors d’autant plus de parler de la vidéo. Aujourd’hui tout le monde utilise ce moyen de communication, sur Instagram et les autres vidéos. Je voulais justement prendre ce médium-là et lui redonner une place qui me semble essentielle. Mes personnages qui s’envoient des vidéos ne veulent pas juste se dire bonjour ou se raconter des anecdotes, pour eux, la vidéo est l’unique façon de continuer à se rencontrer, de continuer à se découvrir, de continuer à se donner envie de vivre. Ma scénographie mélange donc cet espace théâtral qui permet à l’imaginaire de se déployer et ces vidéos qui incarnent un lien entre deux personnages. Soudain, j’ai l’impression que la rencontre entre ces deux supports va immerger les spectateurs et spectatrices. Je voudrais que les gens soient les plus immergés possible, qu’ils se mettent le plus possible à la place de mes personnages et qu’à travers eux ils se rappellent à quel point communiquer avec l’autre est quelque chose de précieux. L’imaginaire à cet endroit-là est la chose qui peut nous faire vivre les plus grandes aventures. 8. Pour cette première pièce, vous avez choisi une scénographie particulière. La scène est divisée en deux, les spectateurs peuvent suivre l’histoire du point de vue de Siwam, ou du point de vue d’Emad. Quel était le but de cette mise en scène ? Immerger pleinement le public dans le récit ? Qu’il participe lui-même à cette tentative de garder un lien ? Mon spectacle est en bi-frontal donc en entrant dans la salle vous n’allez être que d’un côté, en tout cas au départ. Comme les personnages, vous n’allez voir de l’autre que ce qu’il envoie, que les vidéos. J’espère que cette scénographie va nous plonger dans cette fameuse situation des relations épistolaires où on est là impatients à se demander ce que l’autre va nous envoyer, pourquoi il a envoyé ça, qu’est-ce que j’ai envie de lui offrir en retour etc. Ce dispositif crée une situation dramatique que je trouve intéressante. Ça permet également au spectateur d’imaginer les vidéos que l’autre va envoyer. Par ailleurs, il y a une démarche presque philosophique derrière ça : c’est aussi pour renvoyer au fait que dans la vie on a toujours uniquement notre propre point de vue, qui est aussi limité et à interroger. Étant d’un seul côté, je ne peux pas me dire, je sais tout de l’autre personnage qui est devant moi. Non, je ne sais pas tout de l’autre, je ne sais pas tout ce qu’il a vécu, je ne sais que ce qu’il va bien vouloir m’envoyer. Je trouve qu’également en ce moment, où on est abreuvés d’informations mais où en réalité notre vision du monde semble, selon moi, se rétrécir petit à petit, j’avais envie à mon modeste niveau dans ce spectacle d’évoquer au spectateur. Tu ne sais pas tout et dans ce spectacle, tu vas devoir t’interroger sur l’autre et accueillir le fait que tu ne peux pas tout voir et que tu ne sais pas tout de l’autre.
Retour sur deux films césarisés :
César de la meilleure révélation féminine pour Maiwene Barthélémy et César du meilleur premier film pour la réalisatrice Louise Courvoisier
Vingt Dieux : le portrait très réussi d’une jeunesse rurale
En 1999, les frères Dardenne bousculaient le paysage cinématographique avec Rosetta, l’histoire d’une ouvrière à la recherche d’un travail après s’être fait virer d’une usine, mais aussi le portrait d’un milieu : la région liégeoise, appauvrie et affaiblie économiquement. Vingt-cinq ans plus tard, Louise Courvoisier signe son premier film, Vingt dieux, et secoue à son tour le septième art. Cette fois, l’histoire est celle de Totone, un adolescent qui, après l’accident de son père, doit s’occuper de sa sœur Claire et décide de faire son propre comté pour remporter le prix d’or à 30 000 euros. Mais c’est aussi le portrait d’un milieu, rarement exploré avec légèreté : celui de la jeunesse rurale dans le Jura.
Interview de Maiwene Barthélémy, actrice dans le film Vingt Dieux (2024)
César de la meilleure révélation masculine pour Abou Sangare, César du meilleur scénario original pour le réalisateur Boris Lojkine, César de la meilleure actrice secondaire pour Nina Meurisse et César du meilleur montage.
L'Histoire de Souleymane, une fiction bien réelle
Un immigré sans-papier à Cannes, bientôt au César : ce n’est pas le synopsis d’un film mais la nouvelle réalité d’Abou Sangaré, interprète principal de la fiction-documentaire-thriller de Boris Lojkine : L’Histoire de Souleymane. Cette histoire tient en quelques mots; le réalisateur filme un immigré pendant les deux jours qui précèdent sa demande d’asile à Paris, sillonnant les boulevards de Stalingrad et Jaurès à vélo, livrant du matin au soir pour Uber Eats.
Interview de Boris Lojkine, réalisateur de L'Histoire de Souleymane (2024)