
À nos corps excisés, une oeuvre de chair et de pensée
À nos corps excisés est un documentaire coécrit par Halimata Fofana et la réalisatrice Anne Richard, à voir gratuitement sur Arte. À travers ce film, Halimata, franco-sénégalaise, revient sur une blessure intime : l’excision qu’elle a subie à cinq ans, lors d’un voyage familial au Sénégal, à Dakar.
L’excision, c’est l’ablation du clitoris. 230 millions de filles et de femmes encore vivantes ont subi des mutilations génitales féminines (MGF) selon l’OMS ; au Sénégal, elles sont deux millions. Si le Sénégal inscrivait en 1999 une loi qui incrimine la pratique de l’excision et de toutes les mutilations génitales féminines ; 25% des femmes sont toujours excisées selon le rapport de l’UNICEF en 2022. Si l’excision est aujourd’hui reconnue comme une violation des droits de l’homme ; sa pratique reste encore ancrée dans les mœurs, dans les coutumes. En 2022, le gouvernement adoptait une stratégie nationale pour l’abandon des MGF au Sénégal. Mais de nombreuses organisations non-gouvernementales et anciennes victimes luttent aujourd’hui à l’échelle locale pour mettre un terme plus efficacement à cette pratique.
C’est le combat que mène Halimata Fofana, victime de l’excision. En témoignant, en informant, en libérant sa parole, elle tente de militer pour l’accélération de l’abandon de cette tradition. Après son livre, Mariama, l’écorchée vive, elle continue à briser le silence dans ce documentaire en témoignant frontalement pour inscrire son récit dans une lutte collective. Elle brise un tabou « hérité de générations en générations » comme elle l’explique dans le documentaire. En parlant, elle amène le débat dans les sphères familiales. En effet, dès les premières minutes du film, elle affirme son dessein : « Moi, Halimata Fofana, 38 ans, éducatrice à la protection judiciaire de la jeunesse, née en banlieue parisienne, je veux haut et fort parler de l’excision avec vous mes proches, avec toi maman ».
Dans son témoignage, elle refuse toute simplification : elle ne veut pas accuser, elle veut comprendre. Pour sa famille, l’excision est une transmission, une coutume qui se pratique de génération en génération. Alors, elle interroge sa mère ; elle échange avec des amies, victimes aussi de l’excision ; elle parle avec son père et retourne même à Dakar où elle rencontre et échange avec Moustapha Niasse, le président de l’Assemblée nationale du Sénégal avant d’aller au sein de sa famille pour parler avec eux, mais aussi avec des femmes qu’elle croise dans la rue. En France et au Québec où elle a déménagé, elle parle de l’excision avec son entourage, elle leur explique son parcours. Son combat est mené sur tous les terrains : elle mène un travail d’information colossal.
Et si c’est un témoignage qui se veut collectif, Halimata Fofana raconte avant tout son histoire. Elle a vécu entre deux mondes, entre une famille sénégalaise et la banlieue parisienne. Toujours balancée entre ces univers, perçue comme une étrangère à Dakar mais aussi en France ou au Québec, elle exprime la difficulté d’une identité métissée. Sa rencontre avec Moustapha Niasse lui permet aussi d’entendre et de revendiquer ses identités partagées : « Je vous vois comme une française totale et comme une sénégalaise totale ; ce n’est pas une contradiction, c’est une complémentarité. » Sa lutte est celle de l’excision mais aussi celle de son histoire depuis l’arrivée de ses parents au Sénégal en 1962 à leur départ en France où elle a grandi. Elle s’ancre dans des cultures, dans les chansons de Céline Dion ou dans les textes de Leopold Sedar Senghor.
« Femme nue, femme noire / Vêtue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté ! » écrivait ce dernier en 1945 dans Chants d’ombre. C’est la culture sénégalaise qu’elle aime, celle à travers laquelle elle veut se construire. Sa forme, c’est son corps. Par son corps, elle œuvre à se réapproprier une identité qui lui a été volée par sa mutilation. Elle aime la danse, par la danse elle aime son corps, par le mouvement elle peut parler.
À nos corps excisés est une œuvre de chair et de pensée. Un geste d’émancipation, où chaque mot arraché au silence est une victoire contre l’oubli. Ce film, c’est une main tendue aux autres femmes, une tentative de réparation — et une claque salutaire pour nous tou.te.s.
Publié le 25 avril 2025