
À nos corps excisés, une œuvre de chaire et de pensée
À nos corps excisés est un documentaire coécrit par Halimata Fofana et la réalisatrice Anne Richard, à voir gratuitement sur Arte. À travers ce film, Halimata, franco-sénégalaise, revient sur une blessure intime : l’excision qu’elle a subie à cinq ans, lors d’un voyage familial au Sénégal, à Dakar. L’excision, c’est l’ablation du clitoris. 230 millions de filles et de femmes encore vivantes ont subi des mutilations génitales féminines (MGF) selon l’OMS ; au Sénégal, deux millions de filles et de femmes. Si le Sénégal inscrivait en 1999 une loi qui incrimine la pratique de l’excision et de toutes les mutilations génitales féminines ; 25% des femmes sont toujours excisées selon le rapport de l’UNICEF en 2022. Si l’excision est aujourd’hui reconnue comme une violation des droits de l’homme ; sa pratique reste encore ancrée dans les mœurs, dans les coutumes. En 2022, le gouvernement adoptait une stratégie nationale pour l’abandon des MGF au Sénégal. Mais de nombreuses organisations non-gouvernementales et anciennes victimes luttent aujourd’hui à l’échelle locale pour mettre un terme plus efficacement à cette pratique.
Les nouveaux chiens de garde : quand la presse défend les intérêts privés
Lors de la Libération en 1944, des règles prescrivent et garantissent « la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l’égard de l’Etat, des puissances d’argent et des influences étrangères. » Pourtant, les rêves d’une presse libre et indépendante sont rapidement confrontés à leur écueil. Alors que la presse devait devenir un « contre-pouvoir », qu’elle devait interroger, enquêter, confronter et dévoiler les mécanismes du pouvoir exécutif, législatif et judiciaire ; elle devient le garde de l’idéologie dominante. En 2012, les réalisateurs Gilles Balbastre et Yannick Kergoat adaptent le livre Les nouveaux chiens de garde (2009) de l’ancien directeur du Monde Diplomatique, Serge Halimi, en un documentaire percutant. En mettant en images sont livre, le film dénonce comment les grands médias sont contrôlés par des intérêts privés, industriels et financiers. À travers une analyse décapante, ils dévoilent la complicité entre journalistes, propriétaires de médias et hommes politiques. Il montre comment la concentration des pouvoirs médiatiques fausse l’information en la transformant en une marchandise. Le titre, renvoie à l’essai de Paul Nizan publié en 1932 : Les Chiens de garde. Dans son essai, Nizan dénonçait les idées de certains philosophes qui, selon lui, dissimulaient la réalité sous une pluralité de grands concepts afin de servir les intérêts de la grande bourgeoisie. Pour Serge Halimi, les « nouveaux » chiens de garde représentent désormais la presse, « simulateurs » et « metteurs en scène des réalités sociales et politiques » qui servent « les intérêts des maîtres du monde. » Ce qui rend Les nouveaux Chiens de Garde si captivant, ce n'est pas seulement son propos, mais aussi la manière dont il est filmé. Le texte de Serge Halimi est enrichi par des entretiens avec des sociologues et de nombreuses archives mais aussi par des musiques décalées et une ironie railleuse. Le documentaire prend son point de départ dans une émission de 1960, où le ministre Alain Peyrefitte pouvait présenter en personne la nouvelle formule du journal de 20 heures. « Période sombre », « Préhistoire de la profession », pour une majorité de journalistes, les temps où politique et information formaient un pouvoir sont révolus. Depuis, le nombre de chaînes se sont démultipliées et la presse connaîtrait donc une liberté totale. Mais les deux réalisateurs dévoilent l’illusion dans laquelle s’embrouillent les journalistes. Si les chaînes d’informations se sont démultipliées, le pluralisme s’amoindrit. Venant tous des mêmes milieux et ayant suivi les mêmes formations (HEC, Sciences Po etc.), les journalistes partagent avec les politiques et les patrons les mêmes caractéristiques sociales. Ils se connaissent et se fréquentent. Gilles Balbastre et Yannick Kergoat dévoilent ces liens d’amitié (en 2009) entre journalistes et personnages politiques : Laurent Joffrin (directeur de la rédaction chez Libération) qui tutoie Sarko ; l’affiche de Paris Match qui réunit Dominique Strauss-Kahn (ministre de l’Économie) et Anne Sinclair (animatrice sur France 3) ou encore François Baroin (Ministre du Budget) et Marie Drucker (Europe 1, France 2). Derrière la musique kitsch ou leurs comm entaires moqueurs, les réalisateurs dévoilent un microcosme de la société où règnent l’image et le paraître au détriment de l’information. S’il y a une multiplicité des médias, leurs idées se concentrent et soutiennent tous l’idéologie dominante. Dans ce cercle, la confrontation est souvent esquivée, comme le montre sarcastiquement le passage où Laurent Joffrin met plus d’une minute pour réussir à poser sa question à J. Chirac. Être journaliste dans ce monde, c’est avoir réussi à s’intégrer dans une classe. Alors, provocation timide certes, mais qui doit rester légère au risque de ne surtout pas perdre sa place et sa légitimité. Derrière ce microcosme, le documentaire révèle aussi comment s’est effectué la privatisation des médias. Avec le groupe Lagardère, Bernard Arnault, Serge Dassault, François Pinault, Vincent Bolloré, les médias se concentrent désormais au sein de grands groupes industriels ou fortunes françaises. Face à une tension permanente entre intérêts privés, économiques et mission publique, l’information se retrouve appauvrie ou détournée. Les deux réalisateurs prennent l’exemple du 27 mai 2008 où des informations capitales ne sont pas révélées dans le journal de 20h00 car elles concernent directement le groupe Bouygues. Les dirigeants des médias et leurs actionnaires amputent désormais l’information. La privatisation des médias entraîne aussi sa marchandisation. L’information devient un capital, une marchandise, qui doit rapporter des intérêts à travers sa rentabilité. L’homogénéisation du contenu s’exprime alors par ce pan où l’infobésité surcharge désormais l’information. Mais au-delà de sa critique du début des années 2000, le documentaire résonne aujourd’hui plus que jamais. Depuis 2012, la transformation du champ médiatique a évolué. Si avant les médias appartenaient au centre-droit et posaient la question de la fabrique d’une réalité qualifiée de mondialisation heureuse ; une grande partie de la presse est désormais tombée entre les mains de propriétaires d’extrêmes-droites. Le documentaire reste malgré tout très actuel car il pose le problème d’une production dépendante des affrontements entre les classes dirigeantes. Les nouveaux chiens de garde devient un véritable cri d’alerte face à la manipulation de l’opinion dans l’ombre. Comment s’attaquer aux causes structurelles des disfonctionnements médiatiques ? Qui finance ce que l’on entend et voit chaque jour ? Comment l'indépendance peut-elle exister quand des intérêts privés dictent l’agenda médiatique ?
Les Filles d’Olfa : reconstituer pour comprendre l’absence
Comment raconter l’absence ? Comment donner corps à celles qui ne sont plus là ? Avec Les Filles d’Olfa, Kaouther Ben Hania ne se contente pas de poser ces questions : elle en fait le cœur même de son film. La réalisatrice s’immerge dans un espace intime fracturé où la mémoire se reconstruit sous nos yeux.
Une guerre civile, endoctrinement ou savoir ? L’éducation au cœur d’une Amérique fracturée
En 2023, un an avant la seconde victoire de Donald Trump, la réalisatrice française s’est immergée dans une petite ville rurale de Pennsylvanie pour observer un affrontement politique inattendu : la campagne électorale pour le conseil scolaire. Aujourd’hui, on vous parle d’un documentaire puissant et révélateur : Une guerre civile - Elizabeth Town, USA, réalisé par Auberi Edler et disponible gratuitement sur Arte.
Vingt Dieux : le portrait très réussi d’une jeunesse rurale
En 1999, les frères Dardenne bousculaient le paysage cinématographique avec Rosetta, l’histoire d’une ouvrière à la recherche d’un travail après s’être fait virer d’une usine, mais aussi le portrait d’un milieu : la région liégeoise, appauvrie et affaiblie économiquement. Vingt-cinq ans plus tard, Louise Courvoisier signe son premier film, Vingt dieux, et secoue à son tour le septième art. Cette fois, l’histoire est celle de Totone, un adolescent qui, après l’accident de son père, doit s’occuper de sa sœur Claire et décide de faire son propre comté pour remporter le prix d’or à 30 000 euros. Mais c’est aussi le portrait d’un milieu, rarement exploré avec légèreté : celui de la jeunesse rurale dans le Jura.
Interview de Maiwene Barthélémy, actrice dans le film Vingt Dieux (2024)
Une orange de Jaffa, symbole d'une dépossession
Le synopsis d’Une Orange de Jaffa (2022) de Mohammed Almughanni tient en quelques mots : c’est l’histoire de Mohammed, un jeune-homme gazaouite, qui cherche à rejoindre sa mère à Jaffa. Après être monté dans un taxi, lui et le chauffeur se retrouvent coincés au checkpoint d’Hizma.
Au Boulot ! : les travailleurs précaires sur le tapis rouge.
Après Merci patron ! J’veux du soleil et Debout les femmes, le réalisateur et journaliste de formation François Ruffin, connu pour ses engagements politiques et son mandat de député de la Somme, décide d’utiliser sa caméra pour donner la parole à cette France populaire, à ces invisibilisés de la société. Le projet prend son point de départ en 2020 après l’« Adresse aux Français » de Macron qui affirmait la nécessité de « rappeler que notre pays, aujourd’hui, tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rénumèrent si mal. ». Selon Ruffin, ce discours n’était que rhétorique puisque quatre ans plus tard, sa politique les dévalorise toujours.
Interview de François Ruffin, réalisateur de Au Boulot ! (2024)
L’Histoire de Souleymane : une fiction bien réelle.
Un immigré sans-papier à Cannes, bientôt au César : ce n’est pas le synopsis d’un film mais la nouvelle réalité d’Abou Sangaré, interprète principal de la fiction-documentaire-thriller de Boris Lojkine : L’Histoire de Souleymane. Cette histoire tient en quelques mots; le réalisateur filme un immigré pendant les deux jours qui précèdent sa demande d’asile à Paris, sillonnant les boulevards de Stalingrad et Jaurès à vélo, livrant du matin au soir pour Uber Eats.
Interview de Boris Lojkine, réalisateur de L'Histoire de Souleymane (2024)