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Désenchanté.es : construire la révolte 

 

 

Au Théâtre du Gouvernail, dans le 19e arrondissement, la jeune compagnie La Graine présente Désenchanté.es, un spectacle qui ressemble à un grand chantier de la révolte. Deux comédiens, Charlotte Goutagny et Valentin Hétier, souhaitent créer un spectacle autour de la lutte, fondamentale, viscérale. Ils cherchent, ils se trompent, ils recommencent, mais tout reste sur scène. C’est justement là que tout se joue : dans cette tentative pleine d’énergie, de doutes et de rires, où la révolte devient autant un sujet qu’une manière de faire.

 

Mais de quoi faut-il se révolter ? La jeunesse a l’embarras du choix : écologie, politique défaillante, revendications sociales … Faut-il parler de tout ? Tout mélanger ou faire des choix ? 

 

Sur scène, tout part d’une question simple : qu’est-ce que la révolte ? Charlotte et Valentin se disputent, s’interrompent, se contredisent. Ils incarnent ce doute collectif, ces hésitations que l’on partage entre jeunes. Chacun dit savoir, dit la vivre plus fort, mieux que l’autre. Ils ironisent, se relancent. Mais en en vérifiant la définition, ils comprennent : le Larousse lie la révolte au groupe, inséparables. La lutte n’est pas seulement un cri individuel, c’est un élan collectif, fédérateur. À ce moment, le spectacle se transforme : sur les planches, les deux révoltés tentent de s’unir à la salle. Les spectateurs font partie du mouvement : on nous parle, on nous regarde, on nous prépare à chanter ensemble. Et on finit par le faire. 

 

Du spectacle émane une sensation de liberté totale, propre aux débuts, à la jeunesse. Charlotte, Valentin et leur metteur en scène Léo Bouthier ont l’air d’avoir tout osé. La scène est leur terrain de jeu : pourquoi se brider ? Des déguisements improbables, des vidéos projetées de leurs répétitions, une danse qui revient comme un rite, des éclats de voix, des silences, des moments absurdes et magnifiques. L’espace est peuplé de réussites, d’essais ratés. À un monologue solennel, succède une chanson et les cris politiques laissent place à des blagues loufoques. Rien n’est figé. Désenchanté.es ressemble à une œuvre en construction, en mouvement permanent, comme la révolte elle-même.

 

Ce qui pourrait passer pour du chaos devient le miroir d’une réalité : celle d’une génération qui ne sait plus très bien par où commencer, mais qui refuse de ne rien faire. Charlotte et Valentin, sur scène, incarnent parfaitement ce désordre-là : ils s’engueulent certes, mais ils repartent, toujours. Leur sincérité désarmante et leur complicité qui rend tout crédible effacent la distance au public : ils expérimentent sans pudeur, avec nous. Leurs prénoms sont les leurs, leurs discussions sonnent vraies. Par moments, des images de leurs répétitions apparaissent sur le mur du fond, brouillant la frontière entre la création et le résultat, entre la vie et le théâtre.

 

Et puis il y a Mylène Farmer, fil rouge inattendu. Tout part d’un souvenir raconté par Valentin : une nuit d’été, en Bretagne, sur une plage, quand la musique Désenchantée commence : effet déroutant d’un classique de la chanson française, tout le monde chante en symbiose, sans barrières. Ce moment devient la métaphore du collectif, de la force du groupe, de ce qu’on peut encore partager. Mylène devient une icône révolutionnaire. On rit quand Charlotte se déguise d’une perruque rousse. On rit encore quand Valentin se retrouve en caleçon sur lequel est écrit « MYLÈNE ». Mais derrière le rire, quelque chose d’émouvant se joue : le besoin de se retrouver ensemble, et de raconter quelque chose de sérieux, même dans la dérision.

 

Il y a dans Désenchanté.es une fraîcheur rare, celle d’artistes qui n’ont pas peur de se tromper, de jeunes qui veulent créer et se révolter. Le spectacle avance comme un laboratoire du vivant. C’est drôle, parfois absurde, souvent touchant. On sent la liberté de la jeunesse, la fougue. Et dans ce joyeux désordre, il y a surtout beaucoup de lucidité : celle d’une génération qui regarde le monde avec inquiétude, mais qui préfère encore rire, chanter, danser plutôt que baisser les bras.

 

À l’image de Mylène Farmer, icône absurde mais fédératrice, le spectacle crée une drôle de sensation : on assiste à un joyeux bordel qu’on ne veut plus quitter. Quand le refrain de Désenchantée retentit enfin, tout le monde le connaît déjà. Le public chante, les comédiens dansent, et l’espace d’un instant, nous incarnons tous la révolte. 

Publié le 24 octobre 2025.

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