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Paris Noir, créer une conscience noire dans la résistance et dans la célébration

 

Dans son Discours sur le colonialisme, Aimé Césaire écrivait : « Ce n’est pas une société morte que nous voulons faire revivre. Nous laissons cela aux amateurs d’exotisme. (…) C’est une société nouvelle qu’il nous faut, avec l’aide de tous nos frères esclaves, créer, riche de toute la puissance productive moderne, chaude de toute la fraternité antique. » 

Ces mots résonnent dès l’entrée dans la galerie du Centre Pompidou de l’exposition Paris noir – Circulations artistiques et luttes anticoloniales, où se dresse, en ouverture, un autoportrait de Gerard Sekoto. Le fond en couleurs sombres tranche avec les teintes jaunes qui éclairent son visage. Son expression grave, presque mélancolique, nous fixe avec intensité. Ce portrait, affirmation de soi, trahit aussi une inquiétude : sans doute celle d’un avenir incertain. Peintre sud-africain et pionnier de l’art moderne, Sekoto quitte son pays pour rejoindre la France en 1947. Cet autoportrait est celui de son exil- exil où il cherche à s’enraciner dans un contexte d’oppression raciale. 

L’exposition retrace l’Histoire des artistes noirs à Paris entre Afrique, caraïbes et Amériques dans la seconde moitié du vingtième siècle. Depuis le mouvement panafricain jusqu’à la fondation de Revue noire, elle suit une trame temporelle allant des années 1950 aux années 1990. Elle met en abyme les œuvres de 150 artistes qui ont œuvré, à travers l’art, à la création d’une mémoire collective et d’une conscience noire à Paris. 

Comment forger une identité ?  Comment se définir comme groupe ?  Comment résister à la colonisation pour, ensuite, créer et célébrer sa culture ?

Ce sont des questions qui germent dans chaque salle où peintures et documents s’entrelacent. Les textes exposés retracent la genèse des grands mouvements culturels et politiques portés par des figures comme Aimé et Suzanne Césaire, Léopold Sédar Senghor, Edouard Glissant ou encore James Baldwin. Une salle entière est consacrée à Edouard Glissant, poète martiniquais qui théorisait le Tout-Monde, concept fondé sur les rencontres entre mémoires des continents et histoires multiples. 

Pour résister, pour penser l’histoire culturelle de la diaspora noire, Paul Gilroy créait en 1991 le concept de « L’Atlantique noir », c’est-à-dire un espace de circulation entre les cultures. C’est dans cette culture hybride - caribéenne, américaine, africaine et américaine – qu’a émergé une « contre-culture de la modernité ». 

De cette « contre-culture » sont issus des mouvements traversés par les violences de l’histoire : celles des peuples marginalisés et opprimés. De nombreux artistes exposés ont participé à l’émergence de cette conscience noire, notamment à travers la négritude théorisée par Césaire, définie comme « la simple reconnaissance du fait d’être noir et l’acceptation de fait, de notre destin de noir, de notre histoire et de notre culture ». 

Par la peinture, les artistes s’émancipent, puis recréent. Par exemple, la peinture de Raymond Honorien (1956), représente une Martinique authentique loin des clichés exotiques. Dans la même lignée, Paul Ahyi propose avec Jeune femme (1960) le portrait d’une femme noire assise, de profil. La peinture exprime une vérité, une authenticité loin des « images déformées » que l’Europe a longtemps projetées. 

La conscience noire se construit également par une hybridation des arts, dans une rencontre des altérités où peut surgir l’imprévisible. Le jazz est une source essentielle d’inspiration pour la peinture. Lutte pour l’émancipation, volonté de forger une histoire : la conscience noire naît de la créolisation. Elle ne se raconte pas sous la forme d’une trame linéaire mais de façon éclatée. Ce sont des images puissantes qui construisent l’histoire – une histoire que chacun assemble individuellement pour, ensemble, tisser une mémoire commune. Le collage de Sam Middleton, Telling it the Way It is, l’illustre parfaitement. Dans un cadre blanc, partitions musicales et photographies de danseurs et chanteurs de jazz fusionnent. La multiplicité des individualités compose une « galaxie de couleurs » formant une « orchestration nouvelle où mémoire du son et symphonie visuelle se rejoignent ». 

L’exposition revient aussi sur les « solidarités révolutionnaires » des années 1960. Ces années voient naître des alliances entre les peuples marginalisés : la marche pour les droits civiques organisée par Baldwin en 1963 à Washington s'étend à Paris ou encore le Festival panafricain d’Alger en 1969, premier festival après l’indépendance de l’Algérie qui réunit concerts, spectacles, expositions et danses de rue. La peinture Confrontation de Merton Simpson illustre ces mouvements. Créée en réaction aux soulèvements de Harlem, elle met face à face un visage blanc et un visage noir, liés uniquement par le rouge — couleur pouvant évoquer le sang — qui transcende la fracture des couleurs. 

Mouvements de résistance, la conscience noire se forge dans la mémoire : mémoire des luttes, de l’esclavage, de l’oppression, mais aussi dans celle des grandes figures de la résistance. L’exposition tisse ainsi un double fil, entre affirmation de soi et geste de résistance. Par ce biais, elle retrace et inscrit l’Histoire noire, sa violence et surtout sa réécriture.

 Cette exposition qui se situe au dernier étage du Centre Georges Pompidou est à voir jusqu’au 30 juin ! 

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