
Have a Good Day ! au Rond-Point, le renouvellement des arts de scène en plein Paris
Pendant trois jours, du 22 au 24 octobre 2024, le collectif lituanien Operomanija a présenté son drôle d’opéra sur la scène du Théâtre du Rond-Point; une occasion de découvrir le lieu en assistant à un spectacle hybride, mi-opéra mi-performance, mi-prosaïque mi-absurde.
Lors de notre entretien avec Laurence de Magalhaes, co-directrice du Théâtre du Rond-Point aux côtés de Stéphane Ricordel, celle-ci affirmait aimer les « formes hybrides » et avoir à cœur de proposer un répertoire à spectacles variés.
Et pour cause, si le théâtre du Rond-Point a bien une particularité, qui nous a directement sauté aux yeux, c’est sa programmation bigarrée. D’un spectacle de marionnettes, à un drame contemporain sur le suicide online, il est bien le lieu d’un perpétuel renouvellement des formes théâtrales. C’est dans cette lignée que s’inscrit parfaitement Have a Good Day !, un opéra moderne, dans lequel 10 femmes assises statiques face au public entonnent une heure de chants lituaniens, principalement a capella.
Le spectateur entre dans la salle Renaud-Barrault sous des coups de “BIP”, qui rythment déjà son attention. Les sons de scanner remplacent les coups de balais traditionnels. Nous entrons dans un nouveau théâtre. 10 femmes en rang d’union, identiques par leur tenue et installées sur des estrades, créent à elles seule une entière mise en scène. C’est acté dès le début, ce sont les femmes et leurs voix qui font scène; elles sont décor, sons et jeu.
Ce n’est pas l’extinction des lumières qui signalent le début de la pièce mais les rayons d’un néon industriel qui teintent la salle d’un ADN particulier. Au moment où les chants démarrent, la complexité du spectacle apparait : les voix sont belles et s’harmonisent entre elles mais quand le surtitrage traduit le lituanien, s’accumulent alors les formules de politesses et les affirmations prosaïques :
“Je dois acheter du beurre, des saucisses”, en boucle.
“Réductions, Soldes, Codes barres, Caisse automatique, une vessie pleine. Ce sont mes proches.”
Les chants changent et racontent d’autres choses, oscillant entre des produits énumérés à rallonge et des adresses faites aux caissières. En parallèle, aucun mouvement de mise en scène, pas de déplacements, une staticité à toute épreuve. Les deux se mêlent pour mettre en avant la déshumanisation qu’induit ce métier, outil du consumérisme.
Les caissières ne sont pas “irremplaçables”, elles sont toutes ce tablier bleu mais pas grand chose d’autre. C’est précisément avec cela que le trio lituanien veut nous percuter à la sortie du spectacle. C’est avec humour, absurde et prosaïque que Vaiva Grainytė, Lina Lapelytė et Rugilė Barzdžiukaitė nous livrent une pièce imprévisible.
Cette imprévisibilité s’empare du spectateur qui même à la fin de la représentation n’est plus tout à fait sûr de ce qu’il vient de voir. Cette heure de performance nous plonge dans un chronophage. Le fait d’une langue étrangère accentue la distance. Les chants deviennent parfois insupportables. Les lumières se rallument et personne dans le public ne sait si la pièce est finie. Une tension étonnante se fait ressentir.Cette pièce ne présente pas des dialogues mais des cris du coeur.
Les répétitions incessantes scandées par les caissières finissent presque par nous déranger, voire nous oppresser. C’est en cela que ce spectacle fonctionne : il incarne une réalité sociale, celle d’un métier alimentaire dur, monotone et bien souvent soumis à l’insignifiance dont font preuve les consommateurs.
En bref, Have a good day ! est une expérience. Bien lointaine d’un théâtre traditionnel, la pièce se fond avec réussite dans la programmation originale du Théâtre du Rond-point. Si la pièce ne joue plus, c’est avec conviction que nous vous conseillons ce lieu pour découvrir une identité théâtrale inhabituelle, incitée par une équipe manifestement cliente d’un art subversif.
Publié le 20 novembre 2024.