
Madame Ose Bashung : un hommage festif et subversif
Alors que Madame Ose Bashung avait été créé pour la salle de cabaret Madame Arthur en 2019, c’est au cœur du huitième arrondissement, au Théâtre du Rond-Point, que nous emmène cette fois le metteur en scène et artiste protéiforme Sébastien Vion. Des centaines de personnes font la queue pour entrer dans la salle Renaud-Barrault de ce lieu institutionnel afin d'assister au cabaret. Autour de nous, des fans de Bashung attendent impatiemment d’écouter son hommage quinze ans après sa mort ; d’autres, viennent pour assister à un show de Drag Queen ; et puis il y a aussi les habitués du théâtre qui sont là comme tous les vendredis. Vieux, jeunes, habitués ou non, un public hétérogène entre dans la salle. Le show n'a pas encore commencé et pourtant, les images de westerns projetées sur les rideaux rouges encore fermés nous font déjà entrer dans un autre univers.
Le rideau s’ouvre…en tenue de cow-boy, le double de Sébastien Vion, Corrine, présente le guitariste (Christophe Rodomisto), le quatuor à cordes assis côté jardin (Juliette Belliard, Adrien Legendre, Laurent Lescane, Vladimir Spach) et côté cour, le pianiste Cosme McMoon (Delphine Dussaux). Ensuite, elle présente ses deux acolytes Patachtouille (Julien Fanthou) et Brenda Mour (Kova Rea) qui débarque majestueusement sur la scène vêtue d’une belle crinière blanche en cheval disco. D’emblée, les trois artistes annoncent nous emmener dans un voyage, celui de l’univers de Bashung.
Osez Joséphine, Vénus, La nuit je mens, Bijou Bijou, Ma petite entreprise ou encore Madame rêve, les artistes chantent et mettent en scène le répertoire de Bashung. Chaque mot de chaque titre est mis en scène, la poésie est mise en image. Les artistes et les musiciens emmènent le spectateur dans un monde de fantaisie, d’outrance et de folie. Les chansons de Bashung sont admirablement bien reprises mais aussi transformées, appropriées par chaque artiste. Chacun d’eux apportent leur particularité au répertoire du chanteur : Brenda Mour par sa belle voix suave, Corrine par sa théâtralité, Patachtouille comme un personnage sorti tout droit de la commedia dell’arte ou d'un opéra comique. Les paroles de l’artiste, déjà subversives, et les corps présents sur scène renversent le genre et les codes.
La mise en scène est variée, polyforme. Sous un ciel étoilé, Corrine chante “La nuit je mens / Je prends des trains à travers la plaine”. Le circassien Quentin Signori performe une époustouflante chorégraphie dans les airs. Les lumières et les couleurs aveuglent, une boule disco décore la salle, les projections d’images sur le fond de la scène intensifient les chants. Paillettes, perruques et excès ; les artifices absorbent les spectateurs dans une illusion complète. Le regard, l’ouïe, l’odeur de la cigarette, tous les sens sont mobilisés. Dans sa mise en scène, Sébastien Vion nous propose une immersion totale.
Pendant un temps, l’immersion visuelle et auditive dans l’univers de Bashung s’interrompt pour que les artistes reprennent leur souffle. Allongés sur le sol à l’avant-scène face public, Brenda Mour et Corrine, journaux en main, lisent l’actu « chaude » et blaguent sur les événements récents. Rachida, « Bayrou-de-secours » ou encore « Retailleauuuuu, reprends l’hélico », tous y passent. Les artistes « explosent le quatrième mur » (ITV, S. Vion). Corrine, Patachtouille et Brenda Mour se baladent dans les rangs, s’adressent aux spectateurs, leur proposant même de tirer sur leur clope.
À travers l’humour, les chansons, la musique et la mise en scène, les artistes emportent le spectateur qui rit aux éclats et pleure en même temps. La nuit devient immortelle, le temps n’est comptabilisé que par la crainte que les rideaux se referment. Sous Gaby oh Gaby, chanson écrite par Boris Bergman et composée par Bashung, la salle entière se lève. Alors, l’hommage à Bashung devient un hommage aux « gabounes » - les transsexuels, travestis et homosexuels. La joie contenue durant toute cette fête explose, les applaudissements ne suffisent pas, le public hurle, chante les paroles de ce classique des années 1980.
Si le show était trop court, la soirée peut continuer dans le restaurant du Théâtre du Rond-Point. Les artistes nous proposent d’aller danser en bas, Corrine met sa casquette de DJ et le public, d’apparence si hétérogène, immortalise ce moment dans une fête nocturne.
Allez voir Madame Ose Bashung : un spectacle complet, drôle, esthétique et poétique, qui prouve encore l’audace de la programmation du Rond-Point.
Publié le 18 décembre 2024.