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Manifester, 500 jours de luttes gravés en images

 

Du 4 au 19 avril, aux Amarres, une exposition retrace 500 jours de mobilisations contre le racisme, le colonialisme et l’extrême droite. En plein cœur de Paris, au bord de l’eau sur les quais de Seine, ce lieu hybride et solidaire accueille chaque jour plus de 300 personnes en situation de précarité. Il fait cohabiter bar associatif, concerts, entraide et culture. En ce mois d’avril, l’art s’y déploie comme un cri, une mémoire collective, une réponse poétique aux violences du réel.

Au centre de l’exposition, les photographies de Serge D’Ignazio nous ont particulièrement bouleversées. Sur les murs, son noir et blanc saisissant rend compte de ce que la couleur ne saurait dire : l’unité des luttes, l’intensité des regards, la gravité du moment. Le choix artistique n’est selon nous pas anodin. Le noir et blanc replace tout le monde sur le même plan, dans une même lumière, et donne aux visages cette force brute qu’ont les témoignages silencieux. Il souligne les ombres, les rides, les sourcils froncés, les bouches entrouvertes. Il capte les détails du réel, là où souvent on ne fait que passer.

Serge a eu plusieurs vies. Il se décrit lui-même comme un « ouvrier photographe ». Et tout comme un ouvrier attaché à la parfaite exécution de son ouvrage, c’est avec une infinie générosité qu’il arpente les cortèges. Depuis des années, il photographie les manifestants pour leur rendre hommage. Il s’attarde sur les visages, mais aussi sur les pancartes : des mots écrits à la hâte, ou au contraire bien choisis, des mots portés à bout de bras, comme criés sans voix. Photographier les pancartes, c’est éviter que les paroles ne s’envolent. C’est leur donner une trace.

Ses images racontent la diversité d’un peuple debout. On y voit des personnes âgées, des enfants perchés sur les épaules de leurs parents, des cortèges d’infirmiers, de sans-papiers, d’étudiants. Toutes et tous, métiers, classes, origines, âges, religions confondus, rassemblés pour défendre une même cause : le droit de vivre dans la dignité, le droit à la vie. Dans la foule, chacun incarne une histoire, mais ensemble, ils composent un visage collectif : celui d’un refus, d’un espoir, d’une résistance.

Certains visages reviennent. Ce sont ceux des plus courageux, ceux que Serge recroise chaque semaine, qui ne lâchent pas, dont la lutte est inébranlable. Il y a ce petit papi, qu’on retrouve à plusieurs reprises, comme sur cette photo, tenant une pancarte où l’on lit : « Tahia Tahia Palestine. Free Free Palestine. Viva Viva Palestina. » D’autres images capturent des instants de communion : un homme coiffé d’une kippa, aux côtés d’une femme portant un keffieh. Deux regards côte à côte, deux histoires entremêlées, pour une même revendication : la paix, la solidarité. Ces photos disent tout d’un combat partagé. Elles nous rassemblent parce qu’elles parlent de ce qui nous lie : l’humain.

 

Et puis il y a les policiers. Les photos de Serge ne les effacent pas, au contraire. Elles les montrent, sans détour. Des CRS qui pointent leurs armes sur des foules désarmées, des regards durs, des corps tendus. Ces clichés sont d’une violence inouïe. Ils saisissent l’asymétrie brute entre ceux qui réclament juste le droit de vivre et ceux qui les contiennent. La violence institutionnelle est captée dans toute sa froideur. Ces images n’ont rien de spectaculaire, et c’est ce qui les rend puissantes : elles documentent une réalité qu’on préfèrerait parfois ignorer. Mais tout n’est pas noir ou blanc. Une autre photo, inattendue, montre une policière qui sourit et tape dans la main d’un manifestant, en signe de soutien. Une image d’espoir. La preuve que même là, dans les lignes adverses, le lien humain peut encore exister.

Les portraits de Serge D’Ignazio sont bouleversants parce qu’ils ne mettent rien en scène. Ils regardent, tout simplement. Et en retour, ils nous permettent à nous aussi de regarder de près : les lignes du front, les larmes retenues, les sourires fugaces. Et les mots, toujours. Ceux qui s’écrivent sur les pancartes et qu’on garde en mémoire : « Justice pour Nahel », « Liberté pour les peuples opprimés », « Contre l’extrême droite, tous unis ». Ces slogans sont des cris figés dans l’image, gravés dans les photos comme dans une mémoire commune.

 

« Manifester », ce n’est pas seulement une exposition. C’est un acte de mémoire, un acte de résistance artistique, et une invitation à la solidarité. En exposant ces images, Les Amarres rendent hommage à ceux qui descendent dans la rue, semaine après semaine, pour défendre des droits trop souvent niés.

 

Prenez le temps d’y passer. L’entrée est gratuite, c’est rapide car la salle est modeste, mais chaque image y pèse. Parce qu’à travers elles, c’est notre époque qu’on regarde en face. Et notre responsabilité à tous, de ne pas détourner les yeux.

Publié le 11 avril 2025.

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