
Put your soul on your hand and walk : Fatma, les yeux de Gaza.
Des yeux à Gaza-Ville. C’est ce qui pourrait résumer le documentaire Put your soul on your hand and walk, sorti en 2025 et sélectionné au festival de Cannes la même année. Aux prémices du documentaire, un blocage : Sepideh Farsi, réalisatrice iranienne, est bloquée à la frontière, au Caire, quand elle tente de se rendre dans la bande de Gaza pour y réaliser des images. Elle est mise en contact avec une palestinienne, Fatma Hassona, photojournaliste gazaouie de 25 ans, restée en Palestine. De cet empêchement se crée une œuvre à la forme étonnante : un documentaire qui nous capte par le plan vertical d’un téléphone portable.
C’est une réalisation profondément intime : l’occupation à Gaza n’est pas narrée par un prisme médiatique, les sources ne se confondent plus. Au contraire, Sepideh Farsi veut tout raconter par les mots d’une seule personne. Pendant près de deux heures, ce sont les discussions par appels vidéos qui nous montrent la vie à Gaza. Les deux femmes entrent en contact et pendant un an échangent. Le FaceTime prend tout son sens : l’écran devient un biais épistolaire, le seul moyen pour la réalisatrice de montrer, le seul pour Fatma de raconter.
La relation qui naît entre ces deux femmes que tout oppose est authentique. Sepideh Farsi le dit, elle comprend sans comprendre la vie de son interlocutrice. Si elle ressent un profond chagrin, tout cela est absurde : depuis sa belle maison parisienne elle ne peut qu’écouter, toujours attentive et bienveillante. Fatma raconte les explosions, les migrations, les morts, avec un sourire qui marquera tous ceux qui visionneront. Nous saisissons son profond optimisme, son amour de la vie, son attachement à sa terre : elle ne veut pas partir, ce n’est pas à elle de renoncer.
Ainsi, pendant un an, les deux échangent régulièrement, leurs appels entrecoupés sans cesse, faute d’un réseau qui peu à peu isole. Chaque fois que la réalisatrice raccroche, à chaque ellipse, nous savons qu’à Gaza, les bombes continuent de tomber. Alors, le moindre silence devient insupportable. Fatma raconte tout : ce sourire qui semble résister à toute épreuve s’efface progressivement, au rythme du récit des morts de ses proches, d’une destruction qui n’en finit jamais. Mais c’est précisément en conservant les bugs, les images brutes de journées où Fatma ne veut pas parler que le documentaire devient cette œuvre à la force impressionnante. Aucun ornements ne viennent enjoliver le vrai, ne viennent cacher les mots d’une jeune femme d’aujourd’hui dont l’existence est à connaitre, à saisir et à crier.
Photojournaliste, Fatma raconte aussi par ses photographies. Les images des rues viennent compléter le récit : elle est gazaouie et journaliste, elle raconte son intimité et l’universalité de l’occupation. Encore par l'intermédiaire d’écrans, Fatma nous expose le regard qu’elle porte sur les rues de sa vie, détruites. Profondément étrangers au génocide en cours à Gaza, nous ne pouvons comprendre, et en réalité nous pouvons à peine imaginer. Mais le documentaire donne la parole à une concernée, qui par ses récits et ses images nous instruit, nous révolte encore.
Les mots de Fatma Hassona, décédée le 16 avril 2025 dans un bombardement israélien visé, sont des archives à ne jamais oublier. « Put your soul on your hand and walk », la phrase qu’elle prononça pour définir son état d’esprit devient un symbole de la résistance. Tuée parce qu’elle a parlé et montré, le documentaire demeure une preuve indélébile de son courage et de son profond humanisme.
Publié le 27 octobre 2025.