
Une orange de Jaffa, symbole d'une dépossesion
Le synopsis d’Une Orange de Jaffa (2022) de Mohammed Almughanni tient en quelques mots : c’est l’histoire de Mohammed, un jeune-homme gazaouite, qui cherche à rejoindre sa mère à Jaffa. Après être monté dans un taxi, lui et le chauffeur se retrouvent coincés au checkpoint d’Hizma.
Le film s’ouvre sur une scène à Qalandia : derrière des barrières de fer ou devant des tours de contrôle, des Palestiniens essaient de franchir la frontière. « Seules les personnes de plus de 60 ans peuvent passer. Les autres, rentrez chez vous. » dit un soldat israélien. Dès les premières images du film, Mohammed Almughanni expose une réalité où l’enfermement géographique reflète une oppression historique, sociale et politique.
Il utilise l’espace urbain comme un personnage à part entière. La ville elle-même est à la fois un lieu de beauté et de fracture, un terrain de mémoire et de division. La mise en scène s’attache à explorer cette dualité à travers des plans larges qui capturent les rues étroites, les bâtiments délabrés mais aussi les espaces de lumière où l’on perçoit des traces de la richesse culturelle de la ville. La caméra se déplace souvent de manière fluide, presque contemplative, ce qui permet de ressentir la lourdeur historique du lieu sans qu’il soit nécessaire d’en faire un élément narratif explicite.
Le territoire palestinien est présenté comme une série d’enclaves où chaque déplacement devient un parcours du combattant. Pour essayer de rejoindre sa mère, Mohammed est obligé de choisir un autre point, celui d’Hizma à huit kilomètres de Qalandia. Mais impossible de traverser. Pendant une quinzaine de minutes, la caméra capte une tension permanente entre Farouk, le chauffeur interprété par Kamel El Bascha, qui a peur de perdre sa voiture et Mohammed, interprété par Samer Bisharat, qui craint de ne pas pouvoir rejoindre sa mère. Le silence rend l’attente interminable, les minutes se transforment en heures. C’est cette alternance entre gros plans et plans lointains qui permet au spectateur d’appréhender cette réalité à travers le regard du personnage. Lorsque Mohammed marche dans les rues étroites de la ville, la caméra s’éloigne comme pour marquer son isolement. À l’inverse, les zooms sur ses expressions faciales, l’absence presque totale de musique et la lenteur des séquences permettent d’accéder à son intimité. Les images hyperréalistes du checkpoint d’Hizma transforment le récit en documentaire, symbolisant le quotidien de milliers de Palestiniens contraints de subir les checkpoints.
C’est une orange qui brise la tension entre Farouk et Mohammed. L’orange de Jaffa, autrefois symbole de la prospérité palestinienne, porte en elle l’histoire d’une dépossession et de la colonisation. Avant la Nakba, Jaffa était un port florissant, célèbre pour ses oranges exportées à travers le Moyen-Orient. Après 1948, ce fruit est devenu un emblème de la spoliation et de l’appropriation culturelle, désormais commercialisé comme un produit israélien. En donnant son orange à Mohammed, Farouk lui restitue symboliquement ce qui lui a été arraché, il lui rend une part de la mémoire de sa culture qui a été détruite. Le film ne prétend pas apporter de réponse quelconque mais il invite à une réflexion sur l’empathie, la réconciliation et la fraternité.
Le court-métrage transcende le récit individuel pour dénoncer une réalité collective : celle d’un peuple cloisonné, dépossédé et confronté à une violence quotidienne. À travers les yeux de Mohammed, le réalisateur nous invite à une réflexion sur la manière dont les héritages historiques et les identités individuelles s’entrelacent dans un contexte de tensions politiques.
En montrant une violence symbolique, le film éclaire une forme d’oppression qui s’inscrit dans une continuité historique depuis 1948. Pourtant, le court-métrage ne décrit pas d’autres violences d'avantages directes et brutales – bombardements, destructions massives, déplacements forcés, banalisations des discours racistes – qui se sont intensifiées ces derniers mois. L’oppression subie par les Palestiniens dans le film pose les prémisses de la violence qu’ils doivent vivre aujourd’hui, avec le génocide en cours.
Publié le 15 janvier 2025.