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Vingt Dieux : le portrait très réussi d’une jeunesse rurale​

En 1999, les frères Dardenne bousculaient le paysage cinématographique avec Rosetta, l’histoire d’une ouvrière à la recherche d’un travail après s’être fait virée d’une usine, mais aussi le portrait d’un milieu : la région liégeoise, appauvrie et affaiblie économiquement. Vingt-cinq ans plus tard, Louise Courvoisier signe son premier film, Vingt dieux, et secoue à son tour le septième art. Cette fois, l’histoire est celle de Totone, un adolescent qui, après l’accident de son père, doit s’occuper de sa sœur Claire et décide de faire son propre comté pour remporter le prix d’or à 30 000 euros. Mais c’est aussi le portrait d’un milieu, rarement exploré avec légèreté : celui de la jeunesse rurale dans le Jura.

Le décor n’a aucun artifice. Le Jura, territoire d’origine de la réalisatrice, devient un personnage à part entière. Les plans hyperréalistes presque documentaires s’entrelacent à son univers intime. Les terres et tracteurs agricoles, le métier de fromager et la confection du comté deviennent des éléments cinématographiques. Chaque geste de la confection du comté est dévoilé. C’est un métier dur où Totone doit plonger ses mains dans un lait chaud acidifié pour le brasser. Mais ces images, sublimées par une lumière brute et naturelle, transforment la pénibilité du travail en une expérience visuelle captivante. Cette mise en scène évite tout misérabilisme pour préférer une représentation juste, belle et authentique. 

Elle paraît d’autant plus authentique quand on apprend que Maïwène Barthélemy, qui joue Marie-Lise, et Clément Faveau, qui interprète Totone, ne sont pas des acteurs professionnels. Ils viennent de ce milieu. Vingt dieux, c’est leur premier film. Ils donnent une part de leur personnalité aux personnages qu’ils interprètent. Dans une scène, Maïwene se confond à son personnage pour réellement assurer la mise à bas d’une vache. Le rythme de la fiction se mêle au rythme de la réalité. Pendant cette scène, un silence presque absolu se confond avec la tension tumultueuse du vêlage. Le scénario décrit une scène intime entre Totone et Marie-Lise. Derrière la fiction, sur le plateau de tournage il n’y a plus que le caméraman, la réalisatrice, l’éleveur et les deux acteurs. La scène a quelque chose de sacré et d’ordinaire à la fois, de fou et de minimaliste. 

Le film dépeint plus que le métier agricole. C’est un film sur la jeunesse rurale. Vingt dieux commence dans une grande fête. Totone est avec ses deux meilleurs amis, Jean-Yves (interprété par Mathis Bernard) et Cyril (Armand Sancey Richard). Il chante et danse la « danse du Limousin », alcool en main. Mais après l’accident de son père, l’adolescent doit devenir responsable et subvenir aux besoins de sa sœur, Claire (Luna Garret). Totone ne verse pas une larme, il reste impassible. Le film interroge la virilité dans la jeunesse rurale. ll y a aussi des bagarres, des coups et du sang. L’agriculture, c’est un métier traditionnellement masculin où l’homme dirige la ferme familiale et se bourre la gueule.

Mais les femmes du film renversent les genres et les clichés. Le mentor de Totone est une femme. Une fromagère qui lui transmet les codes du métier. Marie-Lise travaille dur, tous les jours de cinq heures à vingt-deux heures, c’est elle qui prend en charge la relation amoureuse entre elle et Totone, notamment en l'initiant à certaines pratiques sexuelles. Claire suit et aide son frère pendant tout le film. Elle semble savoir dès le départ que le projet de Totone est fragile, qu’il a peu de chance de remporter les 30 000 euros mais elle est toujours présente, déplaçant l’intrigue du scénario à une sphère plus intime. C’est une enfant qui paraît adulte, une petite fille qui participe avec détermination aux lourdes tâches physiques nécessaires à la confection du fromage. 

L’entrée dans l’intimité des personnages est aussi permise grâce aux belles relations entre ceux-ci : relation amoureuse, relation fraternelle mais aussi relations amicales. Dans un cadre pourtant pudique, le film est une ode à toutes les formes d’amour. Totone, Jean-Yves et Cyril c’est un trio inséparable. Parfois, les dialogues cessent et il n’y a plus que les regards et les gestes. Sans aucun mot, Louise Courvoisier réussit à définir l’amitié. 

« Vingt dieux », c’est un juron paysan, une manière d’exprimer sa colère. Si le titre rend hommage à une insulte paysanne, ce n’est pas une tragédie qui nous est donnée à voir mais un long-métrage sans prétention plein de légèreté et d’humour. C’est un film social qui dépeint un milieu dans toute sa splendeur. Alors, Vingt dieux, il faut aller le voir !

Publié le 23 janvier 2025.

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